Ce qui frappe en premier en regardant les sculptures d'Alexandre Eliem, c'est qu'elles sont vraiment de haute qualité, tant pour l'apprêt , la finition, que pour les idées mises en œuvre. Cet homme a vraiment une vision, qui s'exprime par une forme de mélancolie sur les rapports humains, comme s'il était décidément difficile, presque impossible, d'atteindre l'autre, quels que soient la main tendue et le don sans objet. Pour autant, il y a une réelle bonté dans son travail, une pudeur qui ne trouve pas d'équivalent dans l'échange, une incompréhension qu'il traduit par ces escaliers qui ne mènent nulle part , ces personnages au bord de l'abime, ces portes ouvertes qui nous ramènent à cette stance d'Apollinaire :
Je connais gens de toutes sortes
Ils n'égalent pas leurs destins
Indécis comme feuilles mortes
Leurs yeux sont des feux mal éteints
Leurs cœurs bougent comme leurs portes
Il est moins dérangeant de l'imaginer forgeron, frappant le métal, appliqué à souder ou à poncer, cette alchimie particulière qui transforme le matériau en matière et l'artisan en artiste. Il y a un déséquilibre constant dans son travail, une fuite en avant qui fait qu'on a envie de retenir ses sculptures comme si elles étaient prêtes à tomber, et quand on avance la main pour les retenir, on s'aperçoit en définitive qu'elles tiennent leur équilibre et que c'est nous, en fait, qui sommes prêts à tomber...
D'où le vertige et la fascination. On n'échappe pas à la gravité quand on regarde ses sculptures. Si la chute n'est pas loin, la rédemption non plus. Après, on peut bien sûr gloser sur l'air du temps, l'époque qui distant les relations humaines, les métaphores faciles que ses personnages nous inspirent.
Mais il y a quelque chose de plus primordial dans ces bouts de métal mis bout à bout. Quelque chose qui nous parle, sans qu'on puisse réellement le nommer. La mélancolie, sans doute, la solitude aussi, avec pourtant une forme d'espoir, un appel lointain pour ce qui pourrait être. Comme s'il suffisait de tendre la main, même dans un vide sidéral, pour générer, pour générer quoi ?
C'est la question qu'il pose. Ses personnages, ses sculptures, ont cette même qualité de ressemblance et de dissemblance qui les rend si proches de nous, et pourtant, si lointaines. Une seule chose est certaine, c'est qu'elles ne nous laissent pas indifférents.
Grégoire Renard